Les producteurs, les auteurs et le Gouden Eeuw : si le crime ne paie pas, le travail encore moins.

Le paysan extrait toujours de ses mains (forcément calleuses, comme le veut le cliché littéraire) la matière première. S’il vit en Occident, la technologie a permis de rendre son travail moins pénible. S’il travaille sur les bords du Nil, au Pendjab ou dans la vallée centrale chez moi, au Chili, le travail reste le même que dans les premiers épisodes de « Il Etait Une Fois L’Homme », quand on passe de la chasse à l’agriculture.

 
Une chose demeure constante : le paysan, quelle que soit son outil, peut compter sur le fait qu’il ne tirera jamais aucun profit réel de son travail. Nulle part, jamais.
 
On est même obligé de forcer le système économique, par le biais d’associations, à lui reverser —au maximum— quelque chose d’équitable. Quant à avoir une position de force c’est, évidemment, un doux rêve.
 
A l’autre extrémité du monde, de petits pays, sans surface agricole ou presque, ont fait fortune. Ils achètent cette matière première. A partir de là, deux choix, tous deux parfaitement rentables : ils la revendent ou ils la transforment, et la revendent ensuite. Un pays, au-dessus de tous les autres, a accompli la prouesse d’être une chiure de mouche sur la mappemonde et de se gorger d’or. C’est la Hollande du XVIIIe siècle, dont ce fut le siècle d’or, le Gouden Eeuw.
 
J’aime à imaginer ce qu’un martien, ne connaissant rien à rien et n’ayant pour lui que le simple bon sens, dirait en découvrant notre monde. Et devant le schéma décrit plus haut (matière première = zéro / revente et transformation = $), je pense qu’il dirait juste : « pourquoi c’est comme ça ? ».
 
Je me suis posé la question, car je pense que, fondamentalement, les auteurs fournissent la matière première pour l’écran. Les producteurs, quant à eux, achètent et revendent cette matière première, ou, mieux, la transforment et la revendent. Tous les producteurs ne gagnent pas énormément d’argent. Mais les auteurs, eux, en gagnent très peu, et surtout, je n’ai jamais rencontré de ma vie un producteur pauvre.
 
Alors pourquoi ?
Le paysan est fixe, il est attaché à son lieu de production. Il a un produit, il en est dépendant.
Le commerçant néerlandais n’est attaché à aucun produit. Il n’est attaché à aucun lieu, il est mobile.
Le commerçant vient trouver le paysan. Il établit un rapport de 1 à 1. Moi face à Toi.
Le cultivateur n’a pas d’alternative, donc pas de concurrence en sa faveur.
Le commerçant, par sa mobilité, peut aller trouver le plus offrant. Il fait le lien entre celui qui a le plus besoin de vendre son produit, et celui qui a le plus besoin dudit produit. Il entre sur le marché, dans un rapport de 1 à N, donc de Lui à l’Infini. La concurrence joue à plein.
 
L’auteur est, généralement, lui aussi attaché à son produit : son histoire. Il a beau en avoir plusieurs, il est forcément limité par sa capacité de production. Le producteur, lui, peut choisir au sein d’un nombre quasi infini de projets. La concurrence joue pour lui.
L’auteur doit démarcher les producteurs, cela lui prend un temps et une énergie qui luttent directement, dans un cercle vicieux souterrain, contre sa propre capacité de production.
Le producteur, lui, doit aussi démarcher, mais le nombre de distributeurs et de guichets de financement est réduit. De plus, il peut présenter un grand nombre de projets : les statistiques jouent pour lui. Son travail, comme le représentant de Jacques Vabre dans une publicité des années 80 merveilleusement détournée par les Nuls, consiste à savoir détecter la bonne matière première. Le travail fourni n’est pas, mais pas du tout, le même que celui qui de ses mains (toujours calleuses, pourquoi ça se serait arrangé ?), arrache à la terre le fruit du labeur (j’aime les images bibliques pétainistes vers l’heure du déjeuner).
 
J’ai pas de solution. Sinon peut-être que les producteurs et les auteurs s’associent au lieu d’établir des rapports de fournisseur à client. Les acteurs US le font : ils ont leur propre société de production. Mais les producteurs n’ont pas énormément de raison de le faire, puisqu’ils tiennent actuellement le couteau par le manche. Reste aux auteurs à trouver comment s’établir sur une position de force. Et créer ainsi, je l’espère, une nouvelle Compagnie des Indes, détenue à 50/50 par les marchands hollandais, et les cultivateurs de thé de Ceylan…