« 9 Mois Ferme » : 3 immenses plaisirs pour moi

Affiche 9 mois ferme
  1. Travailler avec Albert Dupontel, d’abord, sur ce scénario hors du commun
  2. Assister au succès phénoménal (2 millions de spectateurs) dont le public a couronné cette entreprise
  3. S’enorgueillir à mon modeste niveau du César du Meilleur Scénario Original.
Un grand bravo et merci à Albert pour sa confiance dans le travail sur ce scénario.

Cinéma : l’inexorable Géodisation

Pendant 60 ans, la télévision a été le cinéma du pauvre. A petit écran, petit contenu et petite émotion.

Le cinéma conservait 3 atouts majeurs :

  1. Le Spectaculaire
  2. Le Glamour
  3. La Transgression

Le Spectaculaire venait du budget : le budget d’un épisode de série TV représentait une fraction infinitésimale du budget d’un long-métrage.

Le Glamour venait des acteurs : les acteurs de cinéma ne frayaient que rarement avec la télévision, et on avait d’un côté des « icônes » et de l’autre, des « figures populaires ». Le gouffre qu’il y avait entre Al Pacino et Paul Michael Glaser (Starsky).

La Transgression venait du contenu et de la pénétration consentie de celui-ci au sein de la famille : on a longtemps considéré que, à l’inverse de la télévision qui trône au centre du foyer, le fait d’acheter un billet de cinéma valait consentement, et de ce fait, on y trouvait du contenu parfois extrême. De fait, on n’entre pas dans un cinéma X pour se plaindre ensuite de la nudité choquante des acteurs. Et donc, la télévision, de par son accessibilité aux enfants à des catégories indistinctes de population, était tenue à une sorte de Plus Petit Dénominateur Commun, à une réserve —une tiédeur— de bon aloi. La fameuse dimension « fédératrice ».

Tout a changé à partir des années 2000. Et tout va encore changer dans les années 2020.

La télévision a, un a un, conquis tous les territoires du cinéma, sauf un, et ce n’est qu’une question de temps : nous y reviendrons. 

La Transgression appartient désormais à la télévision. Sans doute est-ce dû à l’éducation du public, désormais habitué à ne plus considérer la télé comme un robinet ouvert sur l’ensemble de la famille, et qui a changé de paradigme, pour se rapprocher de l’usage qu’on a toujours fait des livres : dans toutes les familles, il y a toujours eu des livres « qui n’étaient pas pour les enfants », et ils sont généralement disposés de façon à les en tenir éloignés. On a davantage pris l’habitude de considérer qu’il y a des programmes pour les enfants et d’autres qui ne le sont pas, et plus personne ne songe à blâmer le diffuseur —souvent une chaîne à péage, on retrouve le paradigme du cinéma X où le spectateur demeure volontaire, donc reponsable de ses choix—  pour avoir diffusé du contenue choquant. La multiplicité vertigineuse des chaînes a segmenté le public de facto, faisant que chacun sait ce qu’il va trouver et ne peut plus s’en plaindre : « si vous n’aimez pas, changez de chaîne ».  Résultat : il y a plus de transgression —et par là même, souvent plus de création artistique— dans un épisode de « House of Cards », « Mad Men » ou « Californication » que dans la grande majorité de la production cinéma. Le cinéma perd dont ce territoire.

Le Glamour : les budgets télévision vont croissant, et permettent d’engager de grands acteurs venus du cinéma. La télévision débauche des icônes : Glenn Close dans « Damages », Kevin Spacey dans « House of Cards », Steve Buscemi dans « Boardwalk Empire », etc. Et ce n’est que le début. Steven Spielberg le disait il y a un mois avec George Lucas : « Lincoln » est passé « à ça » de se faire à la TV. Prochaine étape : Tom Hanks, Al Pacino, De Niro, etc.

Reste le Spectaculaire. Ce n’est qu’une question de budget. Il suffit de voir la croissance impressionnante des budgets de séries TV pour voir que la courbe ne s’arrêtera pas là. A terme, Roland Emmerich pourra faire « Le Jour d’Après » en 10 épisodes TV, comme Spielberg et Hanks ont fait « Band of Brothers ». Question de temps.

Que reste-t-il au cinéma ? La Géode.
On ira toujours voir, une ou deux fois par an, Tyrannosaure Rex 3D à la Villette ou dans une salle iMAX, parce qu’on n’a pas un équipement comparable à la maison. Ce qui, à son tour, sera encore une question de temps.

Les notions de « être ensemble », de « sortir le soir » vont simplement évoluer. On ira boire des verres, on ira manger, on ira traîner —fût-ce au centre commercial du coin, devenu accueillant et convivial— mais cela paraîtra aussi singulier de le faire entre amis ou en couple que ça l’est d’aller à l’Opéra ou au Théâtre. L’affaire d’une à deux fois par an.

70 ans sont passés depuis l’avènement de la TV de masse. Aux USA —toujours les fameux 15 à 20 ans d’avance— la bataille est en train d’être gagnée par la TV, qui a tout pris au cinéma. En France, ça commence.

Mais se pose la même question que pour Samsung copiant Apple : quand on copie quelqu’un, on le réduit à la misère, on finit par le détruire. Et alors, qui copier ?

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© 2013 – Héctor Cabello Reyes

The Gutenberg Paradox

In the medieval times, a merchant spoke at least four languages, and a peasant at least two.

In 2013, computers speak to each other : Web servers with http connected clients, FTP servers with connected upload/download clients, BitTorrent servers with unpaying audiences, etc… Computers are indeed connected. People aren’t.

Why ? Because people still don’t learn languages : a bit of english is enough. They don’t read anymore : news reading on a RSS feed isn’t reading, it’s just spending time in the tube. They don’t memorize things, they just memorize passwords.
Yet people claim to be ultra-connected with the world, and feel ultra-informed. 

What’s the use of Wikipedia if no one is able to write its articles ?

That’s the Gutenberg Paradox : Google and Internet is considered as the « Gutenberg II Revolution », for the First Gutenberg Revolution is the landmark of the mass spreading of culture. What we are facing now 
probably is the exact opposite. It may be the first mass spreading of inculture.

Les producteurs, les auteurs et le Gouden Eeuw : si le crime ne paie pas, le travail encore moins.

Le paysan extrait toujours de ses mains (forcément calleuses, comme le veut le cliché littéraire) la matière première. S’il vit en Occident, la technologie a permis de rendre son travail moins pénible. S’il travaille sur les bords du Nil, au Pendjab ou dans la vallée centrale chez moi, au Chili, le travail reste le même que dans les premiers épisodes de « Il Etait Une Fois L’Homme », quand on passe de la chasse à l’agriculture.

 
Une chose demeure constante : le paysan, quelle que soit son outil, peut compter sur le fait qu’il ne tirera jamais aucun profit réel de son travail. Nulle part, jamais.
 
On est même obligé de forcer le système économique, par le biais d’associations, à lui reverser —au maximum— quelque chose d’équitable. Quant à avoir une position de force c’est, évidemment, un doux rêve.
 
A l’autre extrémité du monde, de petits pays, sans surface agricole ou presque, ont fait fortune. Ils achètent cette matière première. A partir de là, deux choix, tous deux parfaitement rentables : ils la revendent ou ils la transforment, et la revendent ensuite. Un pays, au-dessus de tous les autres, a accompli la prouesse d’être une chiure de mouche sur la mappemonde et de se gorger d’or. C’est la Hollande du XVIIIe siècle, dont ce fut le siècle d’or, le Gouden Eeuw.
 
J’aime à imaginer ce qu’un martien, ne connaissant rien à rien et n’ayant pour lui que le simple bon sens, dirait en découvrant notre monde. Et devant le schéma décrit plus haut (matière première = zéro / revente et transformation = $), je pense qu’il dirait juste : « pourquoi c’est comme ça ? ».
 
Je me suis posé la question, car je pense que, fondamentalement, les auteurs fournissent la matière première pour l’écran. Les producteurs, quant à eux, achètent et revendent cette matière première, ou, mieux, la transforment et la revendent. Tous les producteurs ne gagnent pas énormément d’argent. Mais les auteurs, eux, en gagnent très peu, et surtout, je n’ai jamais rencontré de ma vie un producteur pauvre.
 
Alors pourquoi ?
Le paysan est fixe, il est attaché à son lieu de production. Il a un produit, il en est dépendant.
Le commerçant néerlandais n’est attaché à aucun produit. Il n’est attaché à aucun lieu, il est mobile.
Le commerçant vient trouver le paysan. Il établit un rapport de 1 à 1. Moi face à Toi.
Le cultivateur n’a pas d’alternative, donc pas de concurrence en sa faveur.
Le commerçant, par sa mobilité, peut aller trouver le plus offrant. Il fait le lien entre celui qui a le plus besoin de vendre son produit, et celui qui a le plus besoin dudit produit. Il entre sur le marché, dans un rapport de 1 à N, donc de Lui à l’Infini. La concurrence joue à plein.
 
L’auteur est, généralement, lui aussi attaché à son produit : son histoire. Il a beau en avoir plusieurs, il est forcément limité par sa capacité de production. Le producteur, lui, peut choisir au sein d’un nombre quasi infini de projets. La concurrence joue pour lui.
L’auteur doit démarcher les producteurs, cela lui prend un temps et une énergie qui luttent directement, dans un cercle vicieux souterrain, contre sa propre capacité de production.
Le producteur, lui, doit aussi démarcher, mais le nombre de distributeurs et de guichets de financement est réduit. De plus, il peut présenter un grand nombre de projets : les statistiques jouent pour lui. Son travail, comme le représentant de Jacques Vabre dans une publicité des années 80 merveilleusement détournée par les Nuls, consiste à savoir détecter la bonne matière première. Le travail fourni n’est pas, mais pas du tout, le même que celui qui de ses mains (toujours calleuses, pourquoi ça se serait arrangé ?), arrache à la terre le fruit du labeur (j’aime les images bibliques pétainistes vers l’heure du déjeuner).
 
J’ai pas de solution. Sinon peut-être que les producteurs et les auteurs s’associent au lieu d’établir des rapports de fournisseur à client. Les acteurs US le font : ils ont leur propre société de production. Mais les producteurs n’ont pas énormément de raison de le faire, puisqu’ils tiennent actuellement le couteau par le manche. Reste aux auteurs à trouver comment s’établir sur une position de force. Et créer ainsi, je l’espère, une nouvelle Compagnie des Indes, détenue à 50/50 par les marchands hollandais, et les cultivateurs de thé de Ceylan…

Le Critique et l’Humus

Il y a, tous les ans à peu près, un ou deux moments où je passe devant un kiosque à journaux, une affichette ou une colonne Morris et où, malgré la pluie ou le froid, je m’arrête net, et je reste les jambes coupées. Ce phénomène a beau se répéter, je ne parviens pas à m’y habituer. A chaque fois, les deux mêmes questions m’assaillent :

-« comment peuvent-ils se regarder dans une glace ? »
-« quel psy dénouera un jour l’écheveau des névroses de la critique française ? »
Comment est-il possible qu’un des plus grands génies comiques français se retrouve en couverture d’un magazine qui l’a vilipendé toute sa vie durant et qui n’hésite pas, aujourd’hui, à « effacer » cette période et à réécrire l’histoire en se vautrant dans l’hommage ? Quand ce n’est pas un magazine ou un journal, c’est la cinémathèque qui organise une rétrospective consacrée à un réalisateur de comédies ou de films de série Z qui, à l’époque, aurait pu pousser Henri Langlois à s’immoler par le feu devant tant de vulgarité ou de vacuité.
On oublie les insultes et le mépris comme on efface Trotsky des photos officielles russes. Mais surtout, cela pose question :
-Pourquoi, dans un premier temps, mépriser systématiquement la comédie et, à travers elle, un genre du peuple  (au sens de « populaire »).
-Pourquoi, dans un second temps, se renier ?
-Pourquoi, ensuite, nier qu’on s’est renié ?
Je comprends parfaitement (même si ça me dépasse un peu) qu’un critique conspue un film comme « Le Jouet » de Francis Veber, ou « Le Petit Baigneur » de Robert Dhéry. Qu’il honnisse, en son temps, telle pièce à succès de Pagnol, ou même, tiens, plus près de nous, qu’il vomisse devant les grossièretés proférées par Jean-Marie Bigard, ou le beauf incarné par Fernand Raynaud. Je comprends qu’on juge Blake Edwards en dessous de la ceinture, ou qu’un critique de 1959 soit révulsé par l’écriture de Billy Wilder et Izzie Diamond. Je comprends qu’on trouve Paul McCartney léger ou Michael Jackson « bassement commercial ».  Tout cela est normal, les critiques font leur métier. C’est leur droit, et si c’est honnête, tout va bien. Tant pis pour eux, à la limite.
Je comprendrais parfaitement que, 40 ans plus tard, le même critique dise : « Il en va des films comme de la chimie : les mêmes cause produisent les mêmes effets. Et donc, c’était de la merde, c’est toujours de la merde, ce sera toujours de la merde ».
Mais non seulement je constate —toujours sous la pluie et dans le froid, pétrifié devant la colonne Morris— que ces gens méprisent jusqu’à leur propre parole ou école de pensée (car ce ne sont pas les mêmes, dans la mesure où il s’écoule 25 ans entre pilori et hommage, mais ce sont les mêmes journaux, les mêmes institutions, les mêmes magazines), mais qu’en plus, ils n’ont même pas la dignité de faire amende honorable en place publique. Car il ne s’agit pas de dire « De Funès est un génie ». D’abord, tout le monde le sait (eux y compris, d’où leur triste névrose), on ne nous apprend rien. Mais on fait comme si tout était normal. Il ne s’est rien passé.
Ne s’agirait-il pas plutôt de dire « Nous avons insulté cet homme, nous l’avons méprisé, nous nous sommes trompés. A présent qu’il est mort, nous voulons lui rendre hommage ».
Car il semble bien que tout réside là, dans ce mot antinomique en théorie avec la comédie : le mot « mort ». Elle n’est écrite nulle part, vous ne la lirez jamais telle quelle, mais c’est une loi scrupuleusement appliquée partout en Occident, et plus particulièrement en Europe, avec une pointe très précise en France : « celui qui est aimé par les gens sera méprisé de son vivant, et, après un purgatoire d’une génération, sera célébré post-mortem ».
De Chaplin à Michael Jackson, en passant par Pierre Richard et Molière, l’humus stimule la bienveillance du critique, comme si le corps de l’ennemi, désormais inoffensif, l’amenait à baisser sa garde et à admettre qu’il est lui aussi, le critique, quelqu’un comme les autres.